Cette phrase, qui invite un jeune enfant à s’excuser auprès d’autrui lorsqu’il a commis un acte volontaire ou involontaire provoquant un sentiment désagréable (de la vexation à la douleur, en passant par la colère), est très utilisée dans l’éducation.

Éducatrice de jeunes enfants auprès d’enfants de moins de 6 ans, et animatrice d’ateliers de communication bienveillante auprès des parents et professionnels, je vous explique dans cet article pourquoi cette demande n’a pas d’intérêt et, qu’au contraire, elle a l’effet inverse de ce que l’on recherche. En effet, elle n’est pas la meilleure méthode pour apprendre à un enfant à s’excuser. Explications :


Un jeune enfant n’est pas en capacité de comprendre le concept…

Très jeune, peu de temps après qu’il acquiert le langage parlé, nous demandons assez rapidement à l’enfant de s’excuser, ou de dire “pardon” lorsque, par exemple, il a frappé un autre enfant (parce que, oui, la période coïncide aussi avec celle d’un comportement parfois un peu violent avec les autres). Or, l’enfant ne comprend pas le sens de cette demande.

La politesse est un concept abstrait, une convention sociale qu’un jeune enfant (avant 4-5 ans) n’est pas en capacité de comprendre. Son cerveau n’est pas encore mature pour cela, il garde une logique encore très concrète.

Je vous entends déjà dire : “Oui mais il dit bonjour et merci !”. Effectivement, l’enfant sait parfois dire ces mots car il a compris que cela avait un impact ! Très tôt, avant même la parole, l’enfant sait “signer”, c’est à dire avoir une gestuelle avec ses mains pour s’exprimer. La plus connue est celle exprimant le “au revoir”. Pour autant, l’enfant ne sait pas que ce geste est une politesse, mais il sait que cela fait réagir de façon positive les personnes l’entourant. Il cherche donc la réaction sociale.

De même, c’est grâce à l’imitation des adultes (et grâce aux neurones miroirs) que l’enfant met en place progressivement les formes de politesse. Par conséquent, c’est parce qu’on lui dit, très régulièrement, “bonjour” “merci” “au revoir” que l’enfant fait de même.

Concernant le “pardon”, cela est encore plus délicat puisque cette demande se produit généralement dans une situation amenant des émotions désagréables. C’est à force de demandes répétitives de la part de l’adulte que l’enfant se met à dire “pardon” sans vraiment comprendre pourquoi (et l’enfant qui le reçoit ne le comprend pas forcément non plus !).


… mais intègre que c’est un comportement que l’on attend de lui.

Demander régulièrement à un enfant de dire “pardon” a l’effet inverse de ce que l’on recherche. Le but premier recherché de cette politesse est de prendre ses responsabilités et de “réparer” l’acte, qu’il eût été intentionnel ou non. Néanmoins, à force de répétition, l’enfant qui grandit comprend que c’est ce que l’on attend de lui, mais ne prend pas pour autant ses responsabilités. Il ne se met pas à la place de l’autre, il fait juste ce qui lui est demandé. Il reste donc passif.

En effet, combien d’enfants, après avoir fait mal à un camarade, ont pu dire “Mais je ne l’ai pas fait exprès !” ou encore “Mais j’ai dit pardon !” ?

Finalement, en adressant un simple “pardon”, il se déresponsabilise face à ses actes et ne prend pas en compte les conséquences.

De plus, lorsque nous demandons à un enfant de s’excuser, il se trouve dans une position désagréable dans laquelle il se sent souvent accusé, voire rabaissé. Imaginez-vous avoir involontairement cassé un objet d’un ami et que l’on vous dise “Excuse-toi !” : Avez-vous vraiment envie de le dire ? Ou vous sentez-vous trop mal pour le faire ?

Un enfant sera dans cette même posture et se sentira contraint et forcé de s’excuser, ce qui renforcera sa culpabilité et le blessera dans son estime de lui-même. Il finira par penser que sa culpabilité sera moins importante s’il s’excuse ensuite de façon systématique.


Alors, comment faire pour qu’il s’excuse sincèrement?

– Être dans l’empathie avec lui :

La première étape pour que l’enfant comprenne les conséquences de ses actes est de développer son empathie. Mais pour cela, il faut pouvoir reconnaître ses émotions . En effet, reconnaître ses émotions au quotidien, les nommer et les prendre en compte permettra peu à peu à l’enfant de les identifier. Au fil du temps, il arrivera donc à mettre des mots sur ses propres émotions et cela l’aidera à développer, son empathie envers l’autre.

En effet, comment reconnaître les émotions d’autrui lorsque nous ne connaissons pas les nôtres ?

Par exemple, votre enfant a tiré les cheveux d’un autre enfant parce que ce dernier lui avait pris son jouet. Vous pouvez lui dire “Tu es vexé qu’il ait pris ton jouet ? Tu voulais certainement le garder et continuer de jouer avec”. Votre enfant se sent donc compris, moins sous tension, et donc plus à même de prendre en compte les émotions de l’autre.

Un enfant (et de même pour l’adulte) ne pourra comprendre l’autre que s’il se sent compris lui-même.

– S’excuser auprès de lui

Il serait faux de dire que nous avons toujours un comportement irréprochable face à notre enfant. Êtes-vous de ceux qui ont des difficultés à s’excuser ? Peut-être parce que l’on vous a forcé à le faire quand vous étiez enfant…?

Nous savons que l’enfant apprend surtout par l’imitation de nos comportements, et non par nos demandes répétées. Alors, quand il vous arrive de déraper volontairement ou involontairement, dans vos paroles ou dans vos gestes, excusez-vous auprès de votre enfant. En plus d’observer votre comportement pour l’imiter plus tard, cela lui apprendra également que personne n’est parfait et que chacun de nous a le droit de faire des erreurs.

– Lui apprendre à réparer si cela est possible

Lorsqu’un enfant commet une action nécessitant “des excuses”, la meilleure méthode est encore de lui proposer de réparer, quand la situation le permet.

Avant 3 ans, il est préférable de lui donner les solutions qui s’offrent à lui. Par exemple, lorsqu’il détruit une tour de jeux de construction bâtie par son frère, nous pouvons lui proposer de la reconstruire avec lui.

Pour l’enfant plus grand, nous pouvons directement l’interroger “Que peux-tu faire pour que l’autre se sente mieux ?”. Et c’est dans ces moments que j’ai pu observer un enfant aller chercher le doudou de celui à qui il avait fait mal…

En réparant, l’enfant prend la responsabilité de ses actes et restaure son estime de lui-même.

– L’aider à reconnaître les émotions de l’autre

Un jeune enfant (moins de 3 ans) est auto-centré, c’est à dire qu’il ne perçoit le monde qu’à travers son propre point de vue, ses besoins et ses émotions. En aidant l’enfant à identifier ses propres émotions, il cherchera avec le temps à essayer de comprendre si l’autre est également capable de les ressentir (“elle est triste la dame ?” en voyant une femme pleurer par exemple).

Ensuite, nous pouvons l’aider à envisager le point de vue de l’autre en lui disant par exemple “Xavier est très en colère que tu lui ais pris le vélo avec lequel il jouait” ou encore “Yohann a eu mal quand tu lui as marché sur la main”. Mais ATTENTION, il ne s’agit pas de culpabiliser votre enfant, mais de l’aider à reconnaître une émotion réelle chez l’autre. Il est donc préférable de bien choisir ses mots et de continuer à reconnaître les émotions de votre enfant !

C’est à partir de 4-5 ans que l’enfant commence à sortir progressivement de cette phase d’égocentrisme (nommée ainsi par Jean PIAGET) et qu’il va comprendre peu à peu que les autres ne pensent pas comme lui et qu’ils peuvent avoir des émotions différentes. Cela va également lui permettre de comprendre les émotions d’autrui.


Et le bisou alors?

Demander à un enfant de faire un bisou en guise d’excuse ajoute un contact physique et donc la notion de consentement pour les deux parties : l’enfant qui fait le bisou et celui qui le reçoit. Le contact physique peut aider à la réparation de la relation entre deux personnes / enfants que ce soit, le bisou, la caresse ou le câlin.

Néanmoins, il est primordial que ce contact soit pleinement consenti par les deux protagonistes. Il est donc de mise de demander leur avis à chacun d’eux. J’insiste bien sur cette notion de consentement que l’on a tendance à oublier, alors que c’est, pourtant, une notion que l’on souhaite également véhiculée à nos enfants…


En conclusion, il n’est pas simple de demander à un enfant de s’excuser. C’est une convention sociale que nous souhaitons transmettre à nos enfants, seulement il est nécessaire de prendre en compte la dimension émotionnelle et les conséquences de cette demande. Avec tout ce qu’on demande aux enfants de faire ou ne pas faire, on en oublierait de se mettre à leur place


Anne-Claire Brosset – À Cœur Bienveillant