Conflit dans la fratrie : Prendre parti n’est pas juste

Les conflits dans une fratrie sont affaire quotidienne… “il a pris le verre bleu alors que je le voulais !” “Elle m’a tiré les cheveux !” “Non, ça c’est à moi !!!”. Il est parfois difficile de gérer ces disputes journalières et l’on a généralement envie de prendre parti pour celui qui s’est fait “agressé”, pour le plus petit, ou encore pour celui qui se laisse plus facilement faire… Seulement, notre attitude peut parfois favoriser les conflits.

Educatrice de jeunes enfants en crèche et animatrice d’ateliers de communication bienveillante pour les parents d’enfants de moins de 6 ans, je vais tenter de répondre à cette problématique parfois lourde au quotidien.


Pourquoi prendre parti (surtout lorsque l’action a été vue) est-il injuste?

Dans la communication bienveillante et l’éducation positive, une des missions en tant que parent et/ou éducateur de l’enfant, est de créer les conditions favorables afin de favoriser l’émergence de l’estime de soi. Et force est de constater que la façon dont nous allons intervenir au sein du conflit va avoir un impact sur la construction de cette estime de soi. Prendre parti implique que l’on se trouve plus d’un côté que de l’autre, que l’on reconnaît la faute à l’un, et pas à l’autre. Or, souvent lorsque nous prenons parti, cela implique une INTERPRÉTATION du conflit de notre part: cela peut également nous renvoyer à des situations que nous avons vécues étant enfant… nous y associons nos propres sentiments, nos propres blessures qui ne concernent pourtant en rien le conflit présent entre nos enfants.

Lorsque nous prenons parti, un des enfants est souvent la “victime” tandis que l’autre est le “coupable”. À force de répétition, une étiquette va se créer, et elle va se renforcer chaque fois que l’on interviendra lors d’une dispute.

Bien sûr, il est important d’intervenir dans certains cas, et nous allons voir COMMENT.


Mais tout d’abord, à quoi sert le conflit ?

Le conflit, que ce soit entre enfants ou même entre adultes, a une fonction bien particulière qu’il ne faut pas négliger. Le conflit est UTILE.

Il permet à chacun de réaffirmer sa place, de “délimiter le territoire”, de s’affirmer en tant que personne et d’exprimer des tensions qui ont pu s’accumuler.

En outre, le conflit permet de mettre de la DISTANCE avec l’Autre, afin de ne pas tomber dans la fusion.


Quel est donc notre rôle en tant qu’adulte ?

En tant que parent, ou en tant qu’éducateur, notre rôle est de créer ou maintenir une sécurité affective suffisante pour que l’enfant se construise sereinement.

Il est important de noter que l’adulte ne doit pas systématiquement intervenir lors de conflit. En effet, il y a 3 niveaux de conflit:

  • La chamaillerie : C’est une petite querelle durant laquelle les enfants peuvent trouver la solution eux-mêmes. Si l’on intervient durant celle-ci, les enfants ne sauront résoudre le problème sans l’aide de l’adulte. Il faut parfois seulement les observer et s’abstenir de réagir.
  • La dispute : Altercation un peu plus vive. Les enfants peuvent avoir besoin d’un adulte “médiateur” pour sortir du conflit. Cela les amène à découvrir la négociation et à prendre en compte le point de vue de l’autre.
  • La bagarre: Elle nécessite une intervention rapide de l’adulte, pour qu’il y ait séparation. La bagarre n’implique pas nécessairement des coups ou des insultes, mais suppose, tout dû moins, une certaine violence.

L’adulte n’a donc pas systématiquement besoin de “s’interposer”. Il est profitable, pour vos enfants comme pour vous, de leur faire confiance et de les laisser trouver la solution par eux-mêmes.

Lorsqu’il s’agit d’une dispute ou d’une bagarre, voici ce qui me parait important de mettre en place :


1- Observer et décrire les faits

Lorsqu’un conflit apparaît, que l’on ait vu ou non, nous observons des choses : la réaction de l’un, le regard de l’autre, les pleurs, le rejet, les jouets au sol, l’espace dans lequel ils se trouvent… Sans même avoir assisté à la scène, des éléments peuvent nous aider à comprendre. MAIS ATTENTION à l’interprétation !

C’est pourquoi, après avoir observé, l’étape suivante est la description.

Voyons un exemple : Jules, 4 ans, joue avec des jeux de construction dans le salon. Son petit frère de 13 mois, Louis, se trouve non loin de lui. Jules crie et pousse Louis. Ce dernier se met à pleurer.Ayant seulement aperçu le plus grand pousser le plus petit, nous pouvons penser à plusieurs hypothèses (la liste est non-exhaustive !) :

  • Jules jouait seul quand Louis est venu lui détruire sa tour.
  • Jules jouait seul lorsque Louis est passé à côté et a détruit sa tour malencontreusement,
  • Jules jouait, a vu Louis s’approcher et l’a poussé avant même qu’il n’atteigne la tour et l’a lui-même, maladroitement détruite.
  • Jules jouait seul, s’est agacé de ne pas réussir à réaliser ce qu’il souhaitait, a détruit sa tour et, de frustration, s’en est pris à son frère
  • Etc…

Il nous est difficile de nous mettre dans la tête d’un enfant. Nous ne pouvons que nous accrocher à ce que nous voyons, sans interpréter (c’est également un principe de base de la communication non violente – CNV).

En tant que parent ou éducateur, nous pouvons réagir de la façon suivante:

“Je vois une tour de Lego détruite. J’ai également entendu que tu avais crié, et vu que tu as poussé Louis”.

Les enfants plus grands pourront expliquer ce qu’il s’est passé, ou plus précisément ce qu’ils ont “vécu” dans cette situation.

Notre plus grand réflexe, guidé par la peur, c’est de réprimander de suite le plus grand qui s’en est pris au plus petit, sans même avoir le fin mot de l’histoire : c’est à ce moment que se crée le sentiment d’injustice. C’est en cela que la description est l’outil indispensable pour éviter la prise de parti.


2- Reconnaître les sentiments de chacun

“Tu as l’air en colère” “ Je vois un petit garçon vexé” “Je vois un autre petit garçon qui a été poussé et qui pleure”… : toutes ces phrases vont permettre de donner sa place à chacun. Ils vont sentir leur émotion reconnue, ce qui contribuera à apaiser les tensions.

À l’inverse, lorsque leur émotion est niée, non-reconnue ou mise en doute, elle aura tendance à s’amplifier : l’enfant sera d’autant plus en colère, frustré ou triste.

Il est vrai qu’il est parfois plus facile de reconnaître le sentiment de celui qui a été “agressé” car cela fait appel à notre empathie. Seulement, les deux enfants ont besoin de reconnaissance afin de développer, à leur tour, leur empathie. Reconnaître la colère et la frustration, c’est un pas pour limiter les étiquettes de “victime” et de “coupable”.


3- Rappeler les règles

Il est évident que l’on ne peut pas laisser un enfant en pousser (ou plus généralement faire mal) à un autre, que ce soit le plus grand ou même le plus petit. C’est pourquoi, après la description des faits et la reconnaissance des émotions suit le rappel des règles :

“Il est interdit de pousser ou de faire mal, même quand tu es en colère. Je sais que c’est frustrant de construire une tour et que ton frère la détruise. Donc, quand tu es en colère, tu trouves une autre façon de le dire. Par exemple, tu peux lui dire “Non ! Je veux jouer tout seul ! Laisse moi tranquille”

Rappeler la règle à celui qui a “agressé” est essentiel. Néanmoins, nous pouvons également le faire, lorsque cela est possible, à celui qui a été agressé “Ton frère a besoin que tu respectes son espace de jeu. Tu as peut-être envie de jouer avec lui, mais il n’est pas prêt pour le moment”. Ce rappel renforce la reconnaissance des émotions, des besoins et de la place de chacun.


4- Amener à la réparation

“Que peux-tu faire pour qu’il se sente moins triste?”

Un enfant de plus de 3 ans pourra peut-être répondre à la question (s’il se sent suffisamment en sécurité, qu’il n’éprouve pas le sentiment de honte).

Un enfant de moins de 3 ans ne sera pas en mesure d’apporter une réponse : ce sera à nous de lui en proposer. “S’il accepte, tu peux l’aider à refaire sa tour de Lego par exemple?”

Attention : cette réparation doit convenir à l’un et l’autre des enfants, comme pour un compromis. Chacun doit comprendre la conséquence de ses actes à travers cette réparation.


5- Les amener à trouver une solution commune

Une fois que la tension est descendue, que chacun n’est plus sous le coup de l’émotion, nous pouvons leur poser la question suivante :

“Qu’allez-vous faire la prochaine fois?”

Bien que ce soit une question difficile, elle permet aux enfants, à force de répétition, de pouvoir anticiper la situation. Evidemment, avant 3 ans, cela est difficilement faisable. Mais le discours de l’adulte s’ancrera peu à peu afin de créer un climat plus sécure et favorable à l’expression des émotions et du conflit. En grandissant, nos enfants vont apprendre de chaque situation de conflit pour pouvoir les solutionner eux-mêmes.


Avant de conclure, sachez qu’il y a tout de même quelques astuces (la liste est non-exhaustive) pour éviter ou limiter les conflits:

-> Eviter les étiquettes telles que “tu es le grand, il est petit”

Lorsqu’une fratrie se forme, aucun des enfants n’a rien demandé… ! L’aîné, qui était bien tout seul, se retrouve dans une position de “grand” à qui l’on demande d’être responsable, autonome (autant que possible) et attentif à ne pas faire mal au petit deuxième… Mais si le plus grand avait envie de rester petit? Si on lui enlevait cette “responsabilité” de prendre soin de son/sa frère/ soeur? Si on lui laissait aussi l’espace de pleurer pour s’exprimer ?

En effet, il n’est pas rare d’entendre “arrête de pleurer comme un bébé, ton frère ne pleure pas lui”. Je sais que l’intention est d’avant tout de faire comprendre à l’enfant qu’il y a des choses plus “graves”. Seulement, avec cette formulation, nous nions l’émotion, ce qui est contraire à l’éducation positive (J’en ai assez parlé non? 😉 ).

Il n’y a pas de “grand” ou de “petit”en ce qui concerne les émotions. Chacun exprime quelque chose, à nous de savoir écouter.

-> Eviter de leur demander de partager

Ah le partage ! Grande valeur que nous souhaitons inculquer à nos enfants ! C’est tout à notre honneur … seulement, cela ne coïncide pas toujours avec les phases de développement de l’enfant.

En effet, avant d’apprendre à partager, l’enfant apprend la possession. C’est pourquoi autour de 2-3 ans, tout est “à moi!”. Dans cette tranche d’âge, l’enfant est centré sur lui et ne peut intégrer le partage, qui est une notion tournée vers l’autre.

De plus, n’oublions pas que dans le concept de fratrie, l’aîné n’a pas demandé à avoir cette cohabitation forcée avec son frère ou sa sœur ! Les conflits seront donc limités dans le cas où chaque enfant a son espace de jeu (la chambre, un coffre) avec des jouets bien distincts. En grandissant, l’aîné supportera de plus en plus que le plus petit “envahisse” son espace dans la mesure où il a pu auparavant avoir le sien.

Plus nous mettons en avant l’individualité de chacun, et plus ils s’entendront…

-> Le mythe de l’égalité

On a tous envie de donner la même chose à chacun de nos enfants pour être sûr qu’il n’y ait pas d’injustice… comme si, en donnant la même chose, nous donnions le même amour. Or, malgré nos efforts, cela renforce le sentiment d’injustice… Explications :

Jil 2019

Nous avons tous des besoins différents, les enfants également. Leur donner la même chose ne répond pas à leur besoin. Dans cette illustration, nous voyons bien que si deux plots avait été donnés à chacun, cela n’aurait pas permis d’avoir le même point de vue.

Autre exemple : Un jour, une maman expliquait qu’elle avait ce souci d’égalité, et notamment durant les temps de repas. Pour éviter les crises, elle en arrivait même à compter les pommes de terre pour être sûre de donner la même quantité à chacun de ses enfants ! Le problème, c’est que les crises n’étaient pas moindres puisque chaque enfant n’avait pas le même besoin de manger ! En effet, que ce soit en fonction de l’âge, du poids, des habitudes alimentaires, de la personnalité… chaque enfant ne ressent pas le besoin de manger la MÊME quantité de nourriture. Sauf pathologie, l’enfant sait bien se réguler seul. C’est pourquoi, il a été conseillé à cette maman de verbaliser à ses enfants qu’elle ne servirait plus le même nombre de pommes de terre, mais que ce sera en fonction de la faim de chacun. Après étonnement, les enfants ont compris cette différence et ont appris à écouter leur sentiment de satiété…

Ecouter les besoins de chaque enfant et y répondre autant que possible limitera donc les conflits entre eux.

Le plus compliqué au quotidien, ce sont les situations où le besoin de l’enfant est celui de l’attention exclusive. L’un peut avoir besoin d’énormément d’attention de notre part (parfois même juste la maman, le papa…) pendant que l’autre ressent ce même besoin. Dans ce cas, à nous de dissocier le réel besoin de l’imitation de l’autre. Néanmoins, il est vrai qu’il est particulièrement ardu de se “couper en deux” pour répondre aux besoins de chaque enfant… Entre alors en compte, la négociation…



La dispute, la chamaillerie ou toute autre forme de conflit est nécessaire à une bonne relation. Notre rôle de parent et d’éducateur est de laisser chaque enfant trouver sa place en l’aidant à reconnaître ses émotions et ses besoins, tout en respectant l’autre. L’enfant apprendra le respect de l’autre lorsqu’il aura expérimenté le respect envers lui-même


Anne-Claire BROSSET – À Cœur Bienveillant